7.12.07

Marseille frappée par la laideur municipale

Par Jacques Gaillard, écrivain.
Promenade désenchantée dans la troisième ville de France. Ou comment faire du laid avec du très beau. Marianne, 27 septembre 2007

Aux fidèles lecteurs de “Marseille, un autre regard“, nous souhaitons faire partager la promenade désenchantée de Jacques Gaillard, écrivain marseillais, qui a publié ce billet d’humeur, forcément à charge, dans les colonnes de Marianne, il y a une dizaine de jours. Beaucoup auront l’impression d’avoir fait la même balade… Ou comment faire du laid avec du très beau… Bonne lecture !

Marseille est la seule grande ville de France qui, en cinquante ans, ne s’est pas embellie. Loin de là. Elle vient de traverser trois ou quatre années de chantiers « marseillais », c’est-à-dire simultanés, désordonnés, inexplicablement stagnants pendant des mois, jamais vraiment finis. Un bouleversement dont les Marseillais sortent épuisés et abasourdis par l’absurdité du résultat (quant à la facture, elle est monstrueuse). La circulation, historiquement difficile, est rendue impossible par un plan de liquidation surréaliste: on ne peut plus ni circuler, ni s’arrêter. Touristes, jetez vos GPS, ça change tous les huit jours, sans compter les nouveaux trous du matin. Car les trams roulent, il y a même, devant la gare de la Blancarde, deux lignes (!) pour aller « en ville », les trottoirs sont repavés, mais ici manque l’herbe entre les rails, là des tuyaux de plastic rouge émergent de trous béants, et sur la Canebière, venant doubler les superbes réverbères historiques (aurait-on songé à les remplacer par ceux d’un styliste ami de la Mairie? cela se dit …), on voit des poteaux de bois plantés dans des bidons de béton. Bizarre.

La Canebière ? Les superbes immeubles Napoléon III restent minés, au ras du sol, par d’invraisemblables devantures commerciales, avec des enseignes hideuses et déglinguées, dignes d’une zone commerciale sinistrée. Cela ne date pas d’hier – le très bel immeuble dit « de la Vierge », en face de la Bourse et du problématique Musée de la mode, est salopé depuis des lustres par l’agence d’Air France. On ne compte plus, du quai des Belges aux Réformés, les volets moisis, fermés sur des immeubles mystérieusement inoccupés, et dont on ne sait quelle spéculation ils attendent. Plus haut, l’avenue de la Libération, l’avenue des Chartreux, historiquement bordéliques, donnent l’impression de n’être jamais balayées. Le boulevard Chave et l’avenue Foch ont été bouffés par le tram, comme, plus bas, la rue de Rome attend d’être dévorée par quatre rails qui laisseront 80 centimètres de trottoir (pour l’heure, ils s’arrêtent net dans le bitume). Entre les deux, l’axe cours Lieutaud – boulevard Garibaldi – boulevard Dugommier – boulevard d’Athènes continue à exhiber des façades noires de crasse traversées par des paquets de câbles électriques et des trottoirs jonchés de détritus, envahis par des motos à vendre et des marchandises en attente de déballage qui ont l’air d’être tombées du dernier camion arrêté en double file sur la chaussée défoncée.

Sait-on ici ce que ravalement veut dire ? Imagine-t-on ce que pourraient apporter des trottoirs propres avec quelques terrasses de cafés accueillantes (Simone de Beauvoir venait, avant-guerre, boire son bock à la Taverne Charley, en face du Lycée Thiers, aujourd’hui disparue, et vantait son charme…) ?
La gare Saint-Charles, classée inaccessible à certaines heures, va, paraît-il, sortir d’une interminable réfection (je pense l’avoir toujours vue cernée de palissades et de gravats depuis au moins dix ans), mais sans doute continuera-t-on en masse à aller prendre le TGV à Aix-TGV, en pleine nature, où il y a un vrai grand parking à deux pas des rails, élémentaire détail qui fait défaut en haut du fameux escalier monumental.

Le cours Julien, type même du projet raté, dont on voulut croire qu’il deviendrait un lieu « branché » grâce à quelques bacs à sable souillés par les chiens, une fontaine vite dégradée (l’eau du bassin n’a pas de présence quotidienne assurée) et trois boutiques de mode, ne sert plus guère qu’à recouvrir, au sein d’un embouteillage permanent, un parking souterrain dont les escaliers font fonction d’urinoir et de poubelle à seringues. Dommage, on fait là de la bonne musique, une association se démène, mais faut-il se pincer les narines pour aller au centre culturel, et rentrer avant la nuit tombée tant le coin est craignos? Sans jouer les délicats, il faut oser le dire: au cours Julien, il y a du talent à revendre, et l’échec pathétique d’une municipalité à entretenir son propre investissement. Encore plus bas, la rue Saint-Ferréol mène impunément de la Préfecture aux dealers de la Canebière, voire au fameux centre Bourse dont les « barres Labourdette » imposent depuis cinquante ans leur laideur récemment labélisée par on ne sait quel conclave d’architectes (sans doute bruxellois). Et du célèbre Vieux-Port, l’eau n’est presque plus visible - c’est un lucratif garage à voiliers statiques, que l’on peut longuement contempler en toussant, puisque sur ses rives, les pots d’échappement diffusent généreusement leurs gaz : venir là en auto ou en bus réclame beaucoup de patience, s’en sortir, plus encore. Seule issue : prendre les choses de haut, monter à Notre-Dame de la Garde. Vue de là, Marseille est superbe. On en mangerait.

D’en bas, c’est autre chose. Le soleil, un style de vie dont on exagère la nonchalance (Marseille est à la fois très souriante et très agressive), une certaine naïveté sympathique symbolisée par le culte de l’OM ne font pas oublier que cette ville est plutôt difficile à vivre. Elle se réfugie dans ses quartiers, ses « villages » aux noms de paroisses, dans quelques bastions bourgeois ou populaires. Mais le drame, c’est que Marseille est une ville qui, depuis trente ans, n’a plus de centre ville. L’ancien s’est irrémédiablement dégradé. On n’a rien fait pour en refaire un. Plus un ciné sur la Canebière, les beaux cafés ont disparu, pas un restaurant sur huit cents mètres d’avenue, à dix heures du soir, tout ce que la deuxième ville de France offre dans son « centre », ce sont des snacks et du shit. Avec quelques flics promenant un berger allemand, sans déranger le business.

Mais que fait la Mairie ? Hélas, à Marseille, la laideur est municipale. Par tradition, pour ne pas dire par culture. Gaudin ne fait que succéder à Defferre, lequel avait trouvé est salopé, à coup de parkings surélevés et de bétonnages verticaux, une ville déjà bien abîmée par ses prédécesseurs. L’architecture urbaine est ici, de maire en maire, au service de régies bizarres et de réseaux compliqués. Les services municipaux obéissent à des principes de gestion inqualifiables. Pas d’autres normes, pas d’autres règlementations que celles qui avantagent de « grandes vues » municipales. Dernier coup de main dont on cause dans les bars, à l’heure du fly : la réhabilitation de la rue de la République, large artère débouchant à l’angle du Vieux-Port, aux superbes immeubles « nettoyés », avec la bénédiction d’une municipalité qu’on dit très… investie dans le projet, par des ventes à la découpe qui ont défrayé la chronique, et dont les prestigieux cinq pièces sont aujourd’hui plus ou moins bradés - quel bon bourgeois friqué veut habiter à prix d’or cette rue d’un centre absent, à vingt minutes d’une boulangerie ou d’un pressing?

Et Marseille se ridiculise à vouloir se hausser le col et se porter candidate à ceci ou cela, aux dernières nouvelles, les Jeux olympiques! Ô Gaudin, t’arrêtes de bouffonner? T’as fumé quoi? On vous parlera de renaissance culturelle, de création chorégraphique ou musicale, de qualité de la vie, mais cela peut-il se faire dans la laideur? D’abord, retrouver la beauté massacrée et reconstruire un peu d’harmonie architecturale. Visiter Lyon, Nantes, Bordeaux, Paris, Strasbourg. Apprendre le bon goût et ses principes. Refaire la Canebière, nettoyer les avenues, revoir le plan de circulation.
Car cette ville est aimable, et je l’aime : j’y suis né.


1 commentaire:

Anonyme a dit…

Je suis bien d'accord avec tout ce qui est dit là.
En plus, voila au moins quelqu'un pour reconnaitre la laideur des tours larbourdettes et de leurs consoeurs qui "ornent" la ville.